jeudi 17 février 2022

Sur un débat Bourdieu-Grass

 

Sur une émission débat entre J.P. Bourdieu et G. Grass

ARTE samedi 26 janvier 02.

 

Le débat qu’il soit radiophonique, télévisuel ou plus naturellement direct est toujours, pour le public qui a une « certaine » tenue intellectuelle, frustrant pour ne pas dire dépossédant. Je dis dépossédant pour bien situer la relation entre ceux qui s’expriment et ceux qui écoutent. Ces derniers étant liés au silence, à la réaction silencieuse et à la réflexion silencieuse. Le débat dans sa forme bi-tri voire quadri-polaire constitue la définition élémentaire ce qui existe à l’échelle d’un pays, d’une nation. Il y a, dans les sociétés sociales-démocrates et aussi, très tendancieusement, dans les sociétés néo-libérales de type américain, une typologie bien  inscrite et clairement établie du discours et du débat qui ne peuvent être que l’expression  même du complexe dominant de démocratie soutenu par une idéologie dominante entretenue par une pensée dominante.

Existe-t-il une différence entre le penseur libre et le libre penseur ? Existe-t-il une différence entre la démocratie néo-libérale et la démocratie socialiste ? Si la première appartient à la dissertation philosophique et à l’exercice rhétorique, la seconde est fixée dans une pratique même de la vie par la libération immorale de l’individualisme dans le cas du libéralisme et par celle de l’individualité dans celui du socialisme que je dirais actif par rapport à ce qu’il a été convenu d’appeler  socialisme « réel »  et bien sur par rapport au socialisme utopique que j’estime comme étant le grand véhicule de l’avenir.

Il fut clair d’entrée de jeu que deux consciences se situaient dans un barycentre d’autant plus étroit que leur substrat par des chemins guère différents étaient de même nature. L’essentiel du propos portait sur l’intellectualité humaine et sur ses capacités réelles.
Les expériences historiques de la philosophie en Allemagne  et en France depuis la prétendue époque des Lumières jusqu’à nos jours ne sont pas si différentes les unes des autres de même que la littérature. Goethe n’est pas opposable à Rousseau ou à Novalis. Il s’est éveillé chez chacun d’eux avec force une philosophie de la nature dont s’est nourrit le romantisme de chaque coté du Rhin. Ce qui apparaît moins c’est l’indéniable crédibilité allemande comparée à l’effervescence française avant, pendant et juste après la Révolution Française et si parfaitement circonscrite par Michel Vovelle dans son Histoire de la Révolution. Cette crédibilité G. Grass a souhaité la réactualiser avec ses tenants et aboutissants civilisateurs. Je fus étonné que ne soit pas évoqué le mouvement « Sturm und Drang » dont le culte de l’individualité et du génie créateur humain fut une constante dans la conscience européenne. De même que fut oublié, ce n’est pas un reproche, l’influence de Christophe Wieland par trop assimilé comme un Voltaire allemand et qui projeta durablement une intelligence de l’espace européen dans une multiplicité intellectualiste particulièrement  homogène. Et si Babeuf renvoie à Marx, les tendances symbolistes de la poésie romantique allemande de Novalis, d’Holderlin et aussi de Heine renvoie à l’ensemble du courant symboliste qui en France et en Russie ont eu plus qu’ailleurs des prolongements jusqu’au début du vingtième siècle.

C’est dire l’exception même du développement intellectuel qui secoua à la fin du dix huitième siècle l’Europe que le dix neuvième et surtout le vingtième siècle ne sut comprendre. Sinon comment expliquer le colonialisme, la fascisme et le nazisme et surtout aujourd’hui comment expliquer l’anachronisme et le paradoxe néo-libéral qui est une régression de la conscience politique puisqu’il n’a pas d’autre vision que la vision économique du développement humain.  En d’autres termes la politique vers l’homme a été terrassée par l’économique vers le producteur-consommateur..

N’y avait-il pas chez Voltaire, Wieland, mais aussi et plus tôt chez Defoe et Swift la germination d’une aliénation libérale bourgeoise dont l’hystérie alla s’amplifiant jusqu’à se résoudre dans le fascisme et le nazisme. C’est dire les dangers futurs.

Je voudrai revenir sur cette remarque de Grass concernant les intellectuels de droite. Existe-t-il vraiment des intellectuels à droite de l’échiquier politique. Il existe, la preuve ne fut et n’est que trop administrée depuis des décennies des discours qui ne sont qu’un discours protéiforme qui légitime  historiquement, philosophiquement mais tout autant, ce n’est pas surprenant, biologiquement les fondements d’un comportement érigeant un système et légitimant une existence comme l’existence.

Les ressorts intellectuels devenant des ressorts de légitimation, d’affirmation et de conviction. Quand De Gaulle clame « …moi ou le chaos » le propos est viscéral, éruptif et angoissant. Aucun hasard. Quand Madelin exhorte ses troupes avec « …

Le néo-libéralisme, c’est la liberté », ce n’est pas seulement une ineptie, un contre sens mais aussi un détournement pernicieux et tactique. Certes la droite se réclame de personnalités ambiguës comme Céline et plus proche de nous Raymond Aron profondément ancré dans l’espace intellectuel français comme le fut Bourdieu, puisqu’il nous a récemment quitté. Les réflexions de Raymond Aron partent d’un postulat. Elles sont itératives par nature et « ratifiantes » mais elles s’inscrivent en termes de modernité contre ce qui lui est opposé. Nous revenons au discours de Madelin plus abrupt et plus vulgaire.

Certes, ni Bourdieu, ni Grass, n’ont pris le temps de situer l’homme pensant dans le concert des spéculations de l’esprit. Je serais tenté de dire que chez l’individu qui revendique le progrès existent la nécessité intellectuelle et son dépassement alors que chez l’individu de type bourgeois qui revendique ses privilèges de classe l’intellectualité est un jeu, une barre de navigation dans un milieu de suffisances d’un coté et d’hostilités de l’autre. Sellières constatant la mondialisation, il n’y participe pas, s’y adapte. Il ne l’a pas demandée mais cherche à en gérer les règles. Ce n’est plus du délit intellectuel, s’il en est, c’est de la négation intellectuelle. Cette remarque ne participe pas à une démonstration qui a son évidence. La notion de gérance ne peut se prévaloir d’une réflexion qui par nature devrait aboutir à une contestation, mais elle s’appuie sur des réflexes techno-administratifs pré-établis. Ainsi le chef d’entreprise ne peut être autre chose que ce qu’il est et ses défenses sont purement et simplement individualisées. Le système tel qu’il se développe en France que ce soit  sous l’égide de Chirac ou de Jospin est l’atomisation dans tous les secteurs de la vie économique et sociale de cette déviation proprement  néo-libérale qui est un archaïsme, une régression et une négation. Et ce n’est pas Madelin et ses hommes liges qui me diront le contraire.

Cette remarque vaut d’autant que pour les hommes politiques de droite et leurs transfuges de gauche, type Strauss Khan,  l’homme réduit à l’économicus vaut pour ce qu’il peut faire, alors que pour ceux de gauche, je laisse le soin de les trouver, l’homme vaut pour ce qu’il est. De quel poids peuvent peser, pour un intellectuel ces deux réalités ?

Personnellement la première est du passé et ne peut être que dépassée. Quant à la seconde, elle est l’avenir mais comment l’édifier quand la barbarie revient en force.

Plus complexe et plus désagréable est le discours socialiste de Schroeder, de Jospin et il y a quelques mois d’Alemania en Italie, enfin partout où ils étaient et où ils sont. Ce discours est proprement social- démocrate à aspiration néo-libérale. Le discours se disperse sous le poids de la nécessité et de la modernisation, autre abus de langage et autre aphorisme de circonstance où le publicitaire se prolonge dans le encore plus fou. Mais n’est-il déjà pas là en slogan de propagande ?  La politique sacrifie à l’argent. Elle sacrifie l’homme. Mais l’homme est la "plue- value". Sans lui l’univers perd "son fondement".  Dans l’histoire de l’Humanité les nazis ont tué la politique et ce fut la plus grande  monstruosité. La bêtise économique avec sa névrose comportementale  attire  les conditions d’un recommencement.

 

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