Natanoucha et Ianoucha
Mes Fils
Nous volerons les étoiles de mai
A l’aube du clair soleil
Et nous danserons avec elles
Habillées de jour
Nous irons dans les vastes plaines
Faites de silence et de rosée
Et nous les séduirons.
Aubervilliers
4juillet 1988
MES GARES REVISITEES 3
M.O.R
2015 –
2017.
Troisième série
Bis
Que dire d’un reflet le juste éclat
Et la fuite soudaine.
Ne serions-nous que cela ?
XXI) Les Filles de la Motte.
Outre la rue, le quartier avait ses limites
Que des îlots de verdure sans éclat isolaient.
Au delà, l'aisance des nantis se faisait discrète
Derrière des façades de suffisance
Au parterre impudemment fleuri.
Mais en deçà, tout s’agitait âprement
Jusqu’au grotesque en versant dérisoire.
Les lieux devenaient propices au désordre
Hâtif et effréné des gens de la nuit
Avec leur étrange allure d’automates
Près des commerces illuminés.
Les uns, des lambeaux de vie, hagards,
Jouant les potiches pour quelques pièces
Et trainant des landaus de fripes.
Les autres, à la furieuse apparence,
Semblaient se débattre en hurlant
Pour quelque inavouable négoce.
Plus haut, à la Motte Piquet des forains,
Les filles, quatre, cinq, jamais plus,
Entre le marchand de musique et le
cinéma,
Faisaient le remonte pente, le bas lisse
Et la poitrine affirmée pour tout appât.
Elles avaient le verbe vif, et le sourire généreux,
Et n’étaient d’aucune honte, ni peine.
Quant au mépris, elles en avaient la gloire,
Et en toute saison qu’elles oubliaient,
Pour ne rien perdre, de ce qu’il restait à perdre!
Bis
Curieux,
cette société
Qui
ignore la misère des siens !
L’obscur
serait si peu lumineux ?
XXII) Suzanne, Ma Badi,
La
maladie, aux premiers froids, passait la fenêtre
Qu’il
fallait fermer à double tour.
Cela
put paraitre ridicule, surtout en hiver,
Quand
les vitres manquaient.
Elle prit sa valise avec quelques effets.
Nous
embrassa simplement et partit.
La
nuit fut oublieuse de tout.
Au
matin, par effet de bonté hypocrite,
La
cancer, nous dit sottement une voisine,
Qui
nous appréciait à la hâte et par défaut.
Votre
mère, c’est une dame, clamait elle,
Qui
avait autant de discrétion que de silence,
Et
des mots d’une solennité distante.
Elle
revint seule bien plus tard.
Et
de la retrouver, tout à notre étonnement,
Esquissa
un sourire de victoire !
Bis
La
poésie qu’elle affectionnait
N’était
que ronces et roses fanées
Celle
qu’elle n’a jamais écrite !
XXIII) Les fossoyeurs
Un
matin d’octobre, le mois des fossoyeurs !
La
porte, cette grille lourde, avait son cadre noir
En
drapé soyeux des flancs au fronton
Et
de longs rubans en sangle laissés au
vent.
En
levant la tête, un bandeau argenté
A
la manière d’un timbre poste apposé,
Deux
lettres à froisser les homonymes.
A
cette époque la mort s’affichait ordinairement
Et
ordinairement il fallait qu’on l’expliquât.
C’était
le temps des métaphores,
L’application
appuyée des euphémismes,
Et
des haines emportées chez les notaires !
Bis
La
mort ordinaire,
Très anonyme,
Autant que résiduelle !
XXIV) Retour
Le
chemin de l’école passait par La Smala,
La
rue, curieusement large et courte.
Au
passage, en rez de chaussée,
D' une insalubre façade aux larges fissures
Une
fenêtre aux battants défraichis
Offrait au regard, ce qui put paraître un décor
Façon Carné, une chambre blafarde
Avec
en plafond une lampe indolente.
Elle avait son locataire, un homme rustre
Dont
le visage n’était qu’une plaie séchée,
Eclairé
par un regard intense.
Il
paraissait en vieillesse abusée,
Et
n’avait que quarante ans passés.
Il
fut des derniers convois “Les 45.000”,
Dont
il ne disait rien pour tout savoir
De ce qui fut et qui ne pouvait être
Hors les néants de l'absurde
Dont il gardait encore l'étoffe rayée.
L'errance le veillait silencieuse
Troublée par nos cris d'enfants
En
nous regardant passer.
Et dont il avait oublié le sens
Qui fut celui d'autres enfants, là bas,
Et
dont les yeux se sont tus.
Il était l'écho d'une nuit interminable
D'un voyage sans horizon
A
sa fenêtre, le soir, chaque soir,
Dans
un ailleurs, Il attendait
Venant
de nulle part l’impossible oubli.
Bis
Il
était Noir, parmi nous,
A
dire des mots
Qui
n’étaient pas les siens
Et qu'il ne pouvait fuir !
XXV) Le dévot
Cet
homme, vous vous souvenez !
L’angle
de son regard félin
Se
fermait sur l’espace le plus aigu
De
sa sainte hypocrisie qu’il arrosait
De
sa très religieuse jouissance
Dont je ne sais s'il l’oubliait passage du Caire.
Ce
pasteur des pauvres et des filles mères
Se
faisait livreur de beurre américain,
Ce
beurre en boite sans additif ni timbre
Dont
le goût se confondait avec le “beef”
Et
celui innocent des déodorants,
Que les vainqueurs rasés de frais et repus
Donnaient à sentir sur des airs de Glen Miller.
Ils avaient en coulisse leur factotum,
Pommadé
en politesse et bonté
Qu’il
affectait en penchant la tête
S’oubliant
parfois dans un vent anal peu discret
Dont nous eûmes souhaité qu’il l’engloutisse !
Bis
Point
de fleurs
Pour
plaire aux femmes !
Des
tickets d’alimentation !
XXVI) Ileana
Elle
avait cessé d’être madame la doctoresse,
Comme
du poète on dit la poétesse.
Ce
qu’elle n’était point si fragile,
Dans
sa tenue trois pièces grises.
Une
élégance certaine, et une maturité
De
ce qu’elle était, simple et fiable.
Roumaine,
elle venait du Maramures,
Et
non de Turquie, mais elle appréciait.
Au
pire des années cinquante,
Certains
l’appelaient, à froid, l’Algérienne.
Elle
recadra sa vie sur le vif hivernal
Qui
régnait au bidon ville de Nanterre,
A
la lueur d’une lutte qu’elle embrassa,
Et
qu’elle repensait chaque soir,
Adjurant ce qu'elle croyait savoir
Avec
Beethoven en déchiffrage !
La
guerre fut à son comble assassine,
Jusqu'au faubourg devenu massacre,
Jusqu'à la Seine devenu linceul.
Elle
quitta Paris, laissant son amertume,
Et
gagna, nul ne sait comment, l’Oranais.
Elle
mourût quelques années plus tard,
Et
repose près d' un oued qui rêve
Toujours
de se jeter dans la mer.
Bis
Elle
portait une blouse
Brodée
bleue aux bras
Et
dansait le braül !
XXVII
Dimanche soir.
Il
fallait passer le champ de mars
Bien
à l’écart du faubourg et du métro.
L’avenue
de Suffren le signifiait
Avec
ses allées arborées
Et
ses rangées d’immeubles massifs
Qui
débouchaient d’un coté sur la Seine
Et
de l’autre sur l’école militaire
Haut
lieu des faits d’armes paternels.
Le
Trocadéro en contrepoint lui faisait face,
Semblable à de grandes orgues
De
tuyaux carrés couleur de sable,
Et
ses cascades de jets d’eau
Qui
s’arrêtaient devant le pont d’Iéna.
C’est
un souvenir sans âme, un cliché
Où
n’apparaissaient que l’immobilité
Et
la solitude hors de tout regard.
Nous ne pouvions oublier la “folle de fer”
Aujourd’hui
quadrillée des pieds à la tête
Et
de ne pas la voir, d’elle même au loin,
S’est
simplement éloignée.
Paris
s’écrivait alors sans point ni virgule,
Que
des apostrophes d’images,
Dans
des reflets sans miroir !
Bis
Paris
fut de toutes les valises
Celles
des arrivées et celles des départs
Pour partout et nulle part !
XXVIII) Le musée.
Par
jeu nous alignions nos pas
Sur
ceux, vifs et pressés de notre Mère,
Mais
sans jamais la dépasser,
Et
pour ne pas tomber du trottoir.
Nous
arrivions place de la Concorde,
Pour
saluer au passage
Le
Jeu de Paume et l’Orangerie
Puis
nous filions jusqu’au Carrousel
Et
arrivions dans la cour carrée du Louvre,
A
cette époque sans pyramide.
Par
rituel, nous prenions une gaterie
En
face de Saint Germain l’Aux.
Nous
abusions, alors avec impudence
Et
familiarité, les apocopes .
Puis
c’était la visite du temple
Hors
du temps par trop comptable
Si
ce n’est celui de l’histoire en stations,
Avec
ses salles de grands déserts,
Et
celles houleuses de ces agapes
Artistiques
qui ne profitaient qu’aux guides.
Nous
étions habitués à la discrétion
Et
bien instruits des usages.
Aussi
nous nous portions dans les étages
Pour
nous livrer des yeux au regard,
Simple
entremise avec les tableaux.
Pour
lesquels nous n’avions qu’un devoir
Celui
de ne jamais les oublier.
Bis
L'orpheline de Delacroix
Le
plus étonnant était son cadre lourd
Qui
la projetait dans un anonymat sombre
Et
rayonnant, à la semblance d’une thébaïde
En
aménité de silence et de douleur.
XXIX) Les trains d'hier (version définitive)
Il avait dans les yeux les trains
d'hier.
C'était l'âge du feu et de la
vapeur,
De la ferraille suintante et du
charbon,
Quand les machines s'épuisaient en
souffle
Dans des halls en verrières enfumées.
C'était Paris, et ses gares en
usines,
Dévoreuses de foules rendues folles
Par des départs et des arrivées
convenus.
Sur le quai, il aurait voulu, par
désarroi,
Fuir ce monde d'enfants accompagnés
Et serrait, désespéré, la main de
sa mère
Bienveillante et silencieusement
inquiète.
Elle eut tant souhaité la sagesse
Dont elle le savait en volonté déjà,
Rendant la séparation supportable.
Mais pouvait-il en être
autrement ?
Elle anticipait tout ce qui pouvait
l’être,
Jusqu’à son retour dont la seule
idée
La renvoyait à elle-même, enfant,
Dans une autre gare, en guerre.
Elle savait, ce que lui ne pouvait
savoir,
De ces gens perdus jetés sur les voies,
De leurs cris et de leurs pleurs,
Quand des hommes, en armes, hurlaient
En chargeant des wagons à bestiaux,
De ce qui n'était ni une troupe ni un
cortège,
Mais la piétaille d'un exode sans allure,
Où les enfants s'inventaient des
ailleurs,
Des Pitchipoï magiques et
ténébreux
Jusqu'à surprendre la désespérance !
Paris Mai 1997….. St Jt.
Juin 2022
Bis
L'enfant Tzigane,
Il portait, en murmure, des mots
étrangers
Qui passaient le filet étroit de ses
lèvres.
Et plus qu’il ne les parlait, il les
chantait !
Bis
Il vivait sa souffrance quotidienne
Se murant dans un silence coupable !
XXIX)
Il était une fois.
Il
ne reste du livre que la couverture
A
la vieillesse vert de gris humide,
Et
un titre cuivré en lettres élimées
A
la lisibilité impossible.
Les brulures ont noirci au coeur
Ce qu'il y avait d'images coloriées
Renvoyant au désordre des souvenirs,
L'insondable du temps, ses racines.
Mais la mémoire perdue se repense.
De
ne plus être, les pages s'ordonnent,
Et
les mots en flux abondent
Le passé de nouveau se décline.
L’histoire
ainsi se recompose
Avec l’assurance d’avoir été,
En
quelque part, en quelques temps,
D’un
village qui fut et qui n’est plus,
Même
dans la chaleur de ses cendres
Achevées
par les dernières lueurs du soleil.
Bis
Les
shtels sont d’aucune mémoire.
Qu’ils
invoquent Golem et Dibbuk
Et
le sabbat à jamais silencieux !
XXX)
Les hôtesses
Elles
étaient trois à se convenir.
Toutes
trois proprement insalubres.
Alluvions
si faussement humaines.
C’était
vraiment peu dire à leur endroit,
Où
la serpe avait ciselé les visages
Traversées
de veinules rougeâtres.
Là
où les chairs usées se relâchent.
Elles
portaient l’infamie et l’injure
Crispées
au bout de leurs lèvres,
A
la fois sèches et humides.
Elles
n’étaient ensemble que le dimanche,
Pour
quelques implorations idolâtres,
A
l’église, dont le clocher ogival
S’offrait
en perspective, tel un obus,
Dans
la cour d’une garnison désaffectée,
Juste
à son opposé derrière le square.
Elles
étaient là, dans la chaleur moite
De
la cire fondue étalée sur le marbre,
S’ordonnant
quelques promesses,
Affectées
de sentiments bitumeux.
La
rue toujours leur collait à la peau.
De
les voir, au grand jour, c’était la fuite.
De
les entendre un violent dégoût.
Les
bourgeois suspicieux s’en détournaient,
La
villa haussmanienne était si proche,
Mais
parfois, ils s’amusaient narquois
De
l’ivresse de l’une, l’oeil mi clos,
Ou
la rage vomitive de l’autre,
Préface
de la troisième au bras d’un mari,
Dont nul ne sut s’il le fut et qu’elle exhibait
Jusque
à la bouffonnerie rageuse.
Du
pavé, la nuit elles faisaient la clôture,
Où
même les chiens disparaissaient,
Et
se déversaient en quelques bistros
Dont
elles nourrissaient la tristesse.
Et
quand la plus jeune s’esquiva,
Ce
trio de sombre souche s’éteignit
Offrant
au vent un ultime souffle,
Annonciateur
des déserts futurs.
Bis
Je
n’imaginais pas à cette époque
Que
nous puissions avoir à domicile
Une
version “pavé” de Lady Macbeth !
Les
cannes blanches.
Quel regard put lui être supportable
Et qui lui fut simplement généreux ?
Le nôtre ! En eut-il jamais les faveurs,
Pour que nous puissions le prétendre ?
Il était ce que les histoires entretiennent,
Depuis le retour de sa famille, veuve
De bien des siens et si méconnaissable.
Il logeait de l’autre côté de l'avenue
Où s’annonçaient les beaux quartiers,
Rompant la vie tapageuse du faubourg
Et les désagréments des petites rues.
Son apparition, insolite, tenait du prodige
Qui se mêlait à la fluidité de l’air matinal.
Avec l’hésitation de tout son être
Et un tremblement irrépressible
Jusque sur ses lèvres déjà tendues,
Sa voix put paraître lointaine et abrupte
Pour dire ce qu’il vivait, loin de nous
Et que nous comprenions à demi-mot,
Hors les jaseries insidieuses des filles
Dont il n’eut jamais la saveur.
Il avait les yeux rougis par la fatigue
Et le visage étrangement vieilli,
Si près de sa jeunesse encore
Dont il n’avait jamais vécu l’ardeur.
Il était ce que la maladie a façonné
En brisant l’ordinaire de la vie
Et qui se devinait par étonnement
Et frayeur et tout autant éloignement.
Il supportait la solitude par nécessité,
Ne pouvant d’elle rien exiger,
Rien de ce qu’il pouvait imaginer.
Il avait le souffle court de l’enfant
Téméraire, comme s’il savait déjà
Ce que les autres ne pouvaient savoir.
Il était d'un passage hâtif et silencieux,
Et s'amusait de nous laisser parler,
Bien que nous eussions changé les accords
De nos causeries de trottoirs.
Par trop de faiblesse il baissait les yeux
En tendant sa main et signifiait son retour,
Dont nul ne remarquait le regret.
Il s’en retournait, presque étonné,
Saisissant sa fébrilité avec éloquence
Pour ne rien perdre de l’instant,
Et levant la tête, dans l’ivresse de l’effort
Il déployait un plein sourire enfantin
Prêt à frapper le pavé de ses cannes blanches
En rappel à ses jambes folles !
Revu et corrigé le 17 oct 2021
Je
dis l'espace occidental comme je dis l'espace commercial. Le premier,
dans l'attente de son effondrement et le second dans l'attente de sa
conversion.
Intermèdes déclassés
L’amour est aussi sot qu’il est vain.
On le dit féminin mais le mot est pitoyablement masculin.
Il était cette génération livrée à la tâche
Le faisant plus que juriste rivé à
l’écriture
Les enfants en innocence sentent cela
Il avait une odeur de poète ce qu’il
n’était pas
Ils
étaient libérés de l’enfer de la déportation
Pour retourner dans le monde qui l’a
fait naître
Que pouvaient dire les étoiles de mai
Quand les flammes embrasaient le ciel
Et que peuvent- elles dire à présent
Que de nouveaux incendies se rallument ?
Nous ne retrouvâmes personne
Et restâmes douloureusement silencieux
Dites-moi que les choses ont changé
Dites-moi la lumière des étoiles de mai
Dites-moi les miens, mes amis, mes
compagnons
Dites-moi le ciel, enfin pour que je
les voie.
Parfois il arpentait les allées du
square
Ayant de lui-même tout oublié !
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