mercredi 4 octobre 2017

MES GARES REVISITEES 3 ENTRE 2015 ET 2017


 

Natanoucha et Ianoucha

 

Mes Fils 


Nous volerons les étoiles de mai

 

A l’aube du clair soleil

 

Et nous danserons avec elles

 

Habillées de jour

 

Nous irons dans les vastes plaines

 

Faites de silence et de rosée

 

Et nous les séduirons. 

  

 

                                Aubervilliers 4juillet 1988

 

 
 
 
MES GARES REVISITEES  3
                      M.O.R
                 2015 – 2017.


Troisième série

 

Bis

Que dire d’un reflet le juste éclat

Et la fuite soudaine.

Ne serions-nous que cela ?

 

 

 





XXI)  Les Filles de la Motte.

 


Outre la rue, le quartier avait ses limites

Que des îlots de verdure sans éclat isolaient.

Au delà, l'aisance des nantis se faisait discrète 

Derrière des façades de suffisance

Au parterre impudemment fleuri.

Mais en deçà, tout s’agitait  âprement

Jusqu’au grotesque en versant dérisoire.  

Les lieux devenaient propices au désordre

Hâtif et effréné des gens de la nuit

Avec leur étrange allure d’automates

Près des commerces illuminés.

Les uns, des lambeaux de vie, hagards,

Jouant les potiches pour quelques pièces

Et trainant des landaus de fripes.

Les autres, à la furieuse apparence,

Semblaient se débattre en hurlant

Pour quelque inavouable négoce.

Plus haut, à la Motte Piquet des forains,

Les filles, quatre, cinq,  jamais plus,

Entre le marchand de musique et le cinéma,   

Faisaient le remonte pente, le bas lisse 

Et la poitrine affirmée pour tout appât.  

Elles avaient le verbe vif, et le sourire généreux,    

Et n’étaient d’aucune honte, ni peine.

Quant au mépris, elles en avaient la gloire,

Et en toute saison  qu’elles oubliaient,

Pour ne rien perdre, de ce qu’il restait à perdre!

 

  Bis

Curieux, cette société
Qui ignore la misère des siens !
L’obscur serait si peu lumineux ?





XXII)     Suzanne, Ma Badi,


La maladie, aux premiers froids, passait la fenêtre
Qu’il fallait fermer à double tour.
Cela put paraitre ridicule, surtout en hiver,
Quand les vitres manquaient.
Elle  prit sa valise avec quelques effets.
Nous embrassa simplement et partit.
La nuit fut oublieuse de tout.
Au matin, par effet de bonté hypocrite,
La cancer, nous dit sottement une voisine,
Qui nous appréciait à la hâte et par défaut.
Votre mère, c’est une dame,  clamait elle,
Qui avait autant de discrétion que de silence,
Et des mots d’une solennité distante.
Elle revint seule bien  plus tard.
Et de la retrouver, tout à notre étonnement,
Esquissa un sourire de victoire !


Bis


La poésie qu’elle affectionnait
N’était que ronces et roses fanées
Celle qu’elle n’a jamais écrite !





                          
XXIII)  Les fossoyeurs


Un matin d’octobre, le mois des fossoyeurs !
La porte, cette grille lourde, avait son cadre noir
En drapé soyeux des flancs au fronton
Et de longs rubans  en sangle laissés au vent.
En levant la tête, un bandeau argenté
A la manière d’un timbre poste apposé,
Deux lettres à froisser les homonymes.
A cette époque la mort s’affichait ordinairement
Et ordinairement il fallait qu’on l’expliquât.
C’était le temps des métaphores,  
L’application appuyée des euphémismes,
Et des haines emportées chez les notaires !

Bis

La mort ordinaire,
Très anonyme,
 Autant que résiduelle !








XXIV)    Retour


Le chemin de l’école passait par La Smala,
La rue, curieusement large et courte.
Au passage, en rez de chaussée,
D' une insalubre façade aux larges fissures
Une fenêtre aux battants défraichis 
Offrait au regard, ce qui put paraître un décor
Façon Carné, une chambre blafarde
Avec en plafond une lampe indolente.
Elle avait son locataire, un homme rustre
Dont le visage n’était qu’une plaie séchée,
Eclairé par un regard intense.
Il paraissait en vieillesse abusée,
Et n’avait que quarante ans passés.
Il fut des derniers convois “Les 45.000”,
Dont il ne disait rien pour tout savoir
De ce qui fut et qui ne pouvait être
Hors les néants de l'absurde
Dont il gardait encore l'étoffe rayée.
L'errance le veillait silencieuse
Troublée par nos cris d'enfants
En nous regardant passer.
Et dont il avait oublié le sens
Qui fut celui d'autres enfants, là bas,
Et dont les yeux se sont tus. 
Il était l'écho d'une nuit interminable
D'un voyage sans horizon     
A sa fenêtre, le soir, chaque soir,
Dans un ailleurs, Il attendait
Venant de nulle part l’impossible oubli. 


Bis

Il était Noir, parmi nous,
A dire des mots
Qui n’étaient pas les siens  
Et qu'il ne pouvait fuir !



                             
 

XXV)   Le dévot


Cet homme, vous vous souvenez !
L’angle de son regard félin
Se fermait sur l’espace le plus aigu
De sa sainte hypocrisie qu’il arrosait
De sa très religieuse jouissance
Dont  je ne sais s'il l’oubliait passage du Caire.
Ce pasteur des pauvres et des filles mères
Se faisait livreur de beurre américain,
Ce beurre en boite sans additif ni timbre
Dont le goût se confondait avec le “beef”
Et celui innocent des déodorants,
Que les vainqueurs rasés de frais et repus 
Donnaient à sentir sur des airs de Glen Miller.
Ils avaient en coulisse leur factotum,
Pommadé en politesse et bonté
Qu’il affectait en penchant la tête
S’oubliant parfois dans un vent anal peu discret
Dont nous eûmes souhaité qu’il l’engloutisse !


Bis

Point de fleurs
Pour plaire aux femmes !
Des tickets d’alimentation !
 



XXVI)   Ileana


Elle avait cessé d’être madame la doctoresse,
Comme du poète on dit la poétesse.
Ce qu’elle n’était point si fragile,
Dans sa tenue trois pièces grises.
Une élégance certaine, et une maturité
De ce qu’elle était, simple et fiable.
Roumaine, elle venait  du Maramures,
Et non de Turquie, mais elle appréciait.
Au pire des années cinquante,
Certains l’appelaient, à froid, l’Algérienne.
Elle recadra sa vie sur le vif  hivernal
Qui régnait au bidon ville de Nanterre,
A la lueur d’une lutte qu’elle embrassa,
Et qu’elle repensait chaque soir,
Adjurant ce qu'elle croyait savoir
Avec Beethoven en déchiffrage !
La guerre fut à son comble assassine,
Jusqu'au faubourg devenu massacre,
Jusqu'à la Seine devenu linceul.
Elle quitta Paris, laissant son amertume,
Et gagna, nul ne sait comment, l’Oranais.
Elle mourût quelques années plus tard,
Et repose près d' un oued qui  rêve
Toujours de se jeter dans la mer.



Bis


Elle portait une blouse
Brodée bleue aux bras
Et dansait le braül !







XXVII 
 
Dimanche soir.

Il fallait passer le champ de mars
Bien à l’écart du faubourg et du métro.
L’avenue de Suffren le signifiait
Avec ses allées arborées
Et ses rangées d’immeubles massifs
Qui débouchaient d’un coté sur la Seine
Et de l’autre sur l’école militaire
Haut lieu des faits d’armes paternels.
Le Trocadéro en contrepoint lui faisait face,
Semblable  à de grandes orgues
De tuyaux carrés couleur de sable,
Et ses cascades de jets d’eau
Qui s’arrêtaient devant le pont d’Iéna.
C’est un souvenir sans âme, un cliché
Où n’apparaissaient que l’immobilité
Et la solitude hors de tout regard.
Nous ne pouvions  oublier la “folle de fer”
Aujourd’hui quadrillée des pieds à la tête
Et de ne pas la voir, d’elle même  au loin,
S’est simplement éloignée.
Paris s’écrivait alors sans point ni virgule,
Que des apostrophes d’images,
Dans des reflets sans miroir !



Bis


Paris fut de toutes les valises
Celles des arrivées et celles des départs
Pour partout et nulle part !






XXVIII)   Le musée. 

Par jeu nous alignions nos pas
Sur ceux, vifs et pressés de notre Mère,
Mais sans jamais la dépasser,
Et pour ne pas tomber du trottoir.
Nous arrivions place de la Concorde,
Pour saluer au passage
Le Jeu de Paume et l’Orangerie
Puis nous filions jusqu’au Carrousel
Et arrivions dans la cour carrée du Louvre,
A cette époque sans pyramide.
Par rituel, nous prenions une gaterie
En face de Saint Germain l’Aux.
Nous abusions, alors avec impudence
Et familiarité, les apocopes .
Puis c’était la visite du temple
Hors du temps par trop comptable
Si ce n’est celui de l’histoire en stations,
Avec ses salles de grands déserts,
Et celles houleuses de ces agapes
Artistiques qui ne profitaient qu’aux guides.
Nous étions habitués à la discrétion
Et bien instruits des usages.
Aussi nous nous portions dans les étages
Pour nous livrer des yeux au regard,
Simple entremise avec les tableaux.
Pour lesquels nous n’avions qu’un devoir
Celui de ne jamais les oublier.



Bis 


L'orpheline de Delacroix


 Le plus étonnant était son cadre lourd
Qui la projetait dans un anonymat sombre
Et rayonnant, à la semblance d’une thébaïde
En aménité de silence et de douleur.






 

 

XXIX Les trains d'hier   (version définitive)

 Il avait dans les yeux les trains d'hier.

C'était l'âge du feu et de la vapeur, 

De la ferraille suintante et du charbon,

Quand les machines s'épuisaient en souffle

Dans des halls en verrières enfumées.

C'était  Paris, et ses gares en usines,

Dévoreuses de foules rendues folles

Par des départs et des arrivées convenus.

Sur le quai, il aurait voulu, par désarroi,

Fuir ce monde d'enfants accompagnés

Et serrait, désespéré, la main de sa mère

Bienveillante et silencieusement inquiète.

Elle eut tant souhaité la sagesse

Dont elle le savait en volonté déjà,

Rendant la séparation supportable.

Mais pouvait-il en être autrement ?

Elle anticipait tout ce qui pouvait l’être,

Jusqu’à son retour dont la seule idée

La renvoyait à elle-même, enfant,

Dans une autre gare, en guerre.

Elle savait, ce que lui ne pouvait savoir,

De ces gens perdus jetés sur les voies,

De leurs cris et de leurs pleurs,

Quand des hommes, en armes, hurlaient

En chargeant des wagons à bestiaux,

De ce qui n'était ni une troupe ni un cortège,

Mais la piétaille d'un exode sans allure,

Où les enfants s'inventaient des ailleurs,

Des Pitchipoï magiques et ténébreux

Jusqu'à surprendre la désespérance !

 

 Paris  Mai 1997….. St Jt. Juin 2022

 

 Bis

L'enfant Tzigane, 

 

Il portait, en murmure, des mots étrangers

Qui passaient le filet étroit de ses lèvres.

Et plus qu’il ne les parlait, il les chantait !

     

 

 Bis

 

     Il vivait sa souffrance quotidienne

     Se murant dans un silence coupable !

 

 

 
 
XXIX)    
 
Il était une fois.


Il ne reste  du livre que la couverture
A la vieillesse vert de gris humide,
Et un titre cuivré en lettres élimées
A la lisibilité impossible.
Les brulures ont noirci au coeur
Ce qu'il y avait d'images coloriées
Renvoyant au désordre des souvenirs,
L'insondable du temps, ses racines.
Mais la mémoire perdue se repense.
De ne plus être, les pages s'ordonnent,
Et les mots en flux abondent
Le passé de nouveau se décline. 
L’histoire ainsi se recompose
Avec  l’assurance d’avoir été,
En quelque part, en quelques temps,
D’un village  qui fut et qui n’est plus,   
Même dans la chaleur de ses cendres
Achevées par les dernières lueurs du soleil.   



Bis


Les shtels sont d’aucune mémoire.
Qu’ils invoquent Golem et Dibbuk
Et le sabbat à jamais silencieux !










XXX)  
 
 Les hôtesses

Elles étaient trois à se convenir.
Toutes trois proprement insalubres.
Alluvions si faussement humaines.
C’était vraiment peu dire à leur endroit,
Où la serpe avait ciselé les visages
Traversées de veinules rougeâtres.
Là où les chairs usées se relâchent.
Elles portaient l’infamie et l’injure
Crispées au bout de leurs lèvres,
A la fois sèches et humides.
Elles n’étaient ensemble que le dimanche,
Pour quelques implorations idolâtres,
A l’église, dont le clocher ogival
S’offrait en perspective, tel un obus,
Dans la cour d’une garnison désaffectée,
Juste à son opposé derrière le square.
Elles étaient là, dans la chaleur moite
De la cire fondue étalée sur le marbre,
S’ordonnant quelques promesses,
Affectées de sentiments bitumeux.
La rue toujours leur collait à la peau.
De les voir, au grand jour, c’était la fuite.
De les entendre un violent dégoût.
Les bourgeois suspicieux s’en détournaient,
La villa haussmanienne était si proche,
Mais parfois, ils s’amusaient narquois
De l’ivresse de l’une, l’oeil mi clos,
Ou la rage vomitive de l’autre,
Préface de la troisième au bras d’un mari,
Dont  nul ne sut s’il le fut et qu’elle exhibait
Jusque  à la bouffonnerie rageuse.
Du pavé, la nuit elles faisaient la clôture,
Où même les chiens disparaissaient,
Et se déversaient en quelques bistros
Dont elles nourrissaient la tristesse.
Et quand la plus jeune s’esquiva,
Ce trio de sombre souche s’éteignit
Offrant au vent un ultime souffle,
Annonciateur des déserts futurs.


Bis


Je n’imaginais pas à cette époque
Que nous puissions avoir à domicile
Une version “pavé” de Lady Macbeth !


 

Les cannes blanches.

 

Quel regard put lui être supportable

Et qui lui fut simplement généreux ?

Le nôtre ! En eut-il jamais les faveurs,

Pour que nous puissions le prétendre ?

Il était ce que les histoires entretiennent,

Depuis le retour de sa famille, veuve

De bien des siens et si méconnaissable.

Il logeait de l’autre côté de l'avenue

Où s’annonçaient les beaux quartiers,

Rompant la vie tapageuse du faubourg

Et les désagréments des petites rues.

Son apparition, insolite, tenait du prodige

Qui se mêlait à la fluidité de l’air matinal.

Avec l’hésitation de tout son être

Et un tremblement irrépressible

Jusque sur ses lèvres déjà tendues,

Sa voix put paraître lointaine et abrupte

Pour dire ce qu’il vivait, loin de nous

Et que nous comprenions à demi-mot,

Hors les jaseries insidieuses des filles

Dont il n’eut jamais la saveur.

Il avait les yeux rougis par la fatigue

Et le visage étrangement vieilli,

Si près de sa jeunesse encore

Dont il n’avait jamais vécu l’ardeur.

Il était ce que la maladie a façonné

En brisant l’ordinaire de la vie

Et qui se devinait par étonnement

Et frayeur et tout autant éloignement.

Il supportait la solitude par nécessité,

Ne pouvant d’elle rien exiger,

Rien de ce qu’il pouvait imaginer.

Il avait le souffle court de l’enfant

Téméraire, comme s’il savait déjà

Ce que les autres ne pouvaient savoir.

Il était d'un passage hâtif et silencieux,

Et s'amusait de nous laisser parler,

Bien que nous eussions changé les accords

De nos causeries de trottoirs.

Par trop de faiblesse il baissait les yeux

En tendant sa main et signifiait son retour,

Dont nul ne remarquait le regret.

Il s’en retournait, presque étonné,

Saisissant sa fébrilité avec éloquence

Pour ne rien perdre de l’instant,

Et levant la tête, dans l’ivresse de l’effort

Il déployait un plein sourire enfantin

Prêt à frapper le pavé de ses cannes blanches

En rappel à ses jambes folles !


 Revu et corrigé le 17 oct 2021

 

    Je dis l'espace occidental  comme je dis l'espace  commercial. Le premier, dans l'attente de son effondrement et le second dans l'attente de sa conversion.
 

     

Intermèdes déclassés 


 

L’amour est aussi sot qu’il est vain. On le dit féminin mais le mot est pitoyablement masculin.

 

 

Il était cette génération livrée à la tâche

Le faisant plus que juriste rivé à l’écriture

Les enfants en innocence sentent cela

Il avait une odeur de poète ce qu’il n’était pas

 

 

 Ils  étaient libérés de l’enfer de la déportation

Pour retourner dans le monde qui l’a fait naître

Que pouvaient dire les étoiles de mai

Quand les flammes embrasaient le ciel

Et que peuvent- elles dire à présent

Que de nouveaux incendies se rallument ?

 

Nous ne retrouvâmes personne

Et restâmes douloureusement silencieux

Dites-moi que les choses ont changé

Dites-moi la lumière des étoiles de mai

Dites-moi les miens, mes amis, mes compagnons

Dites-moi le ciel, enfin pour que je les voie.

 

Parfois il arpentait les allées du square

Ayant de lui-même tout oublié !

 

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